Pourquoi la marionnette et la danse ?
La Cie Humpty-dumpty axe sont travail sur la rencontre de deux techniques manifestement antagonistes, la marionnette et la danse. D’une part l’inerte, l’étrange et l’immobile devenu mobilité et vie par le travail du comédien marionnettiste, d’autre part la fluidité du geste, la naturalité du corps et le travail de maitrise et de contrôle pour organiser la mobilité du corps qui pourtant semble immédiatement donnée. Mais cette contradiction dans les approches n’empêche pas une porosité spectaculaire entre les techniques, la vie dansée ajoutant à l’illusion de vie d’une marionnette et l’immobilité matérielle renforçant la maitrise du geste dansé. Loin de s’opposer, par l’épreuve de la rencontre, la danse semble l’idéal asymptotique du marionnettiste et la maîtrise matérielle semble en retour celui du danseur.
Deux champs d’expression qui se répondent, se complètent et s’encouragent pour ouvrir l’espace du spectacle, ce lieu où les histoires et se racontent sous les yeux d’un public.
Une inquiétante étrangeté :
Dans une œuvre courte de 1919, S. Freud s’essaie à une thématisation du « fantastique » comme genre littéraire autour du concept « d’Inquiétante Étrangeté » (Das Unheimliche en allemand). Ce concept, éponyme à l’œuvre où il figure, permet de désigner un paradoxe dans l’expérience que nous faisons du monde, un point de bascule où ce que nous tenons pour commun, ordinaire devient tout à coup étranger et suscite par-là même l’effroi sinon, tout au moins, le malaise. C’est alors pour celui qui éprouve « l’Inquiétante Étrangeté » tout son monde qui bascule dans l’inhospitalier, tout ce qui était tenu pour familier lui échappe, comme la solidité du réel se faisait sables mouvants et demandait à être réexaminé sans délai. Pour étayer son propos, applicable à la condition pathologique tout autant qu’à la vie ordinaire, Freud s’appuie sur un exemple littéraire qui se sert de l’inquiétante étrangeté comme d’un ressort. Il choisit, dans la littérature fantastique à la fois florissante et balbutiante de son époque la nouvelle de E.T.A. Hoffman « L’Homme au Sable » et tout spécialement le moment où un jeune homme, amoureux d’une jeune femme qu’il ne connait que de vue pour l’avoir surprise en train de danser, voit son monde s’effondrer quand il réalise qu’il s’agit d’un automate et non d’une personne. Ici, le mouvant se révèle en réalité inerte, le familier se fait étranger et le monde se fissure, donnant à voir sa fragilité et laissant deviner qu’un univers de mystères insondés l’anime en secret.
N’est-ce pas l’inquiétante étrangeté, ressort du fantastique, qui se retrouve au cœur du paradoxe qui nous occupait plus haut lorsqu’il s’agissait d’articuler danse et marionnettes ? D’un côté le vivant, dont la chaleur et la pulsation nous sont si familière et de l’autre l’objet déguisé en vivant portent de par leur simple rencontre les germes du fantastique et offre un cadre qui prédispose à interroger l’étrange, l’étranger, le monstre, et tout ce qui rompt avec la continuité ordinaire des choses et des évènements.
C’est pourquoi, dans la « Cabaret Tortellini » le théâtre « fantastique » naitra au croisement de la danse et de la marionnette.
Monstre, foire et cabaret :
Le terme vient du latin monstrare (montrer) mais l’on ne pourrait qualifier de « monstre » tout ce qui se voit désigner. Il faut pour parler de « monstre » ajouter au fait d’être exposé que ce qui est donné à voir rompe avec l’ordre ordinaire des choses, le régulier, le familier, la norme. La problématique du monstre semble donc partager la route de notre « Inquiétante Étrangeté » mais en apportant un éclairage nouveau.
Car si la notion de monstre est chargée négativement, elle peut également se voir positivement connotée comme c’est le cas dans lorsque l’on parle d’un « travail monstre » ou d’un « monstre sacré du cinéma » en désignant dans le premier cas un travail hors-norme et dans le second un comédien élevé au rang de figure patrimoniale.
La notion de « norme » nous ouvre un nouvel espace, à côté du simple fantastique, qui permet d’interroger le social, la relativité des valeurs, là où la seule « Inquiétante Étrangeté » naissait d’une rupture dans l’ordre « naturel » des choses.
Interroger l’ordre social, c’est aussi interroger les valeurs qui sous-tendent le jugement de celui qui regarde le « monstre » et le font être « monstre ». Ainsi, un phénomène de foire, perçu hier comme un monstre, peut aujourd’hui donner lieu à une toutes autre perception. Les culturistes qui inondent les écrans de cinéma américain ont-ils encore quelque chose à voir avec les hommes en tricots de corps rayés qui tordaient des barres de fers ? Comment les femmes à barbes dont on riait jadis ont-elles pu se mouvoir en égérie de la mode ou d’une la pop culture où les genres ont étés rendus flous ?
Interroger le monstre c’est bien poser la question du regard, celle du spectateur, de son époque, de ses valeurs et du contexte d’exposition. La foire, ou le cabaret itinérant, comme lieu de théâtralité à la fois fantastique et social, sera le terrain que nous explorerons avec les collégiens.
Du frisson au rire, les grands sentiments humains :
Autant de regard que de perceptions et autant de monstres que de mutations sociales, autant de réactions que de mise en contexte. Partant du monstre, il faudra explorer un panel de réactions face à son exposition et aussi de contextes qui font que ce que l’on expose devient monstre.
Parmi ces réactions on peut envisager la peur, la pitié, la moquerie, le rire de connivence, l’empathie, l’indignation… toutes ces attitudes ou émotions variant selon le mode d’exposition envisagé.
Synopsis et note d’intention de la création collective :
Pareil au Mangiafuoco qui promène le Pinoccio de Goldoni dans son cabaret ambulant, le couple Tortellini promène sa machine merveilleuse et ses marionnettes de pays en pays, de danses en danses… Hâbleurs exubérants, poètes fantasques, séducteurs de génie et canailles avant tout ; nos deux sympathiques Thénardier racontent leurs incroyables histoires en lettres de vapeur. Celle que crache leur terrible invention et qui se lisent dans le ciel fumant de la révolution industrielle un temps où l’on osait dire du beau qu’il est toujours « bizarre ». Dans leur cabaret extraordinaire ils feront revivre les rêves surannés d’un cirque aujourd’hui disparu : celui des fakirs, des avaleurs de sabres, des ventriloques et danseurs de claquettes.
« Paris, 1898 .
Giuseppe Tortellini achève l’œuvre de sa vie : « L’ATOMOS XIX », une machine lui permettant de réduire les êtres vivants. Lui vient alors en songe imbibé d’absinthe une idée diabolique : créer un cabaret ambulant dont les artistes seraient « volontaires » car réduits à 1/6 ème de leur taille d’origine ! Afin d’infiltrer les cabarets, il trouvera de l’aide auprès de la danseuse Ornella qui se fera engager partout dans le monde afin d’approcher puis de capturer leurs futurs collaborateurs… C’est autour de l’ATOMOS XIX que ce couple diabolique et amusant vous fera profiter des numéros et des danses glanés lors de leurs voyages ! »